06 décembre 2010

" Hélas, je crains que les taxinomistes, sous couvert de sociologie descriptive, manquent la singularité de l’ouvrage en rabattant le tout, une manie chez eux, sur des catégories massives qui nous feraient presque confondre une poule et un paon..."

17 novembre 2010












« Vous me demandez mes idées sur En attendant Godot, dont vous me faites l'honneur de donner des extraits au Club d'essai, et en même temps mes idées sur le théâtre.
Je n'ai pas d'idées sur le théâtre. Je n'y connais rien. Je n'y vais pas. C'est admissible.
Ce qui l'est sans doute moins, c'est d'abord, dans ces conditions, d'écrire une pièce, et ensuite, l'ayant fait, de ne pas avoir d'idées sur elle non plus.
C'est malheureusement mon cas.
Il n'est pas donné à tous de pouvoir passer du monde qui s'ouvre sous la page à celui des profits et pertes, et retour, imperturbable, comme entre le turbin et le Café du Commerce.
Je ne sais pas plus sur cette pièce que celui qui arrive à la lire avec attention.
Je ne sais pas dans quel esprit je l'ai écrite.
Je ne sais pas plus sur les personnages que ce qu'ils disent, ce qu'ils font et ce qui leur arrive. De leur aspect j'ai dû indiquer le peu que j'ai pu entrevoir. Les chapeaux melon par exemple.
Je ne sais pas qui est Godot. Je ne sais même pas, surtout pas, s'il existe. Et je ne sais pas s'ils y croient ou non, les deux qui l'attendent.
Les deux autres qui passent vers la fin de chacun des deux actes, ça doit être pour rompre la monotonie.
Tout ce que j'ai pu savoir, je l'ai montré. Ce n'est pas beaucoup. Mais ça me suffit, et largement. Je dirai même que je me serais contenté de moins.
Quant à vouloir trouver à tout cela un sens plus large et plus élevé, à emporter après le spectacle, avec le programme et les esquimaux, je suis incapable d'en voir l'intérêt. Mais ce doit être possible.
Je n'y suis plus et je n'y serai plus jamais. Estragon, Vladimir, Pozzo, Lucky, leur temps et leur espace, je n'ai pu les connaître un peu que très loin du besoin de comprendre. Ils vous doivent des comptes peut-être. Qu'ils se débrouillent. Sans moi. Eux et moi nous sommes quittes.

Samuel Beckett, Lettre à Michel Polac, janvier 1952

17 juillet 2010

Pour changer

« Après que les plus hautes autorités religieuses musulmanes ont déclaré que les vêtements qui couvrent la totalité du corps et du visage ne relèvent pas du commandement religieux mais de la tradition, wahhabite (Arabie Saoudite) pour l’un, pachtoune (Afghanistan/Pakistan) pour l’autre, allez-vous continuer à cacher l’intégralité de votre visage ? Ainsi dissimulée au regard d’autrui, vous devez bien vous rendre compte que vous suscitez la défiance et la peur, des enfants comme des adultes. Sommes-nous à ce point méprisables et impurs à vos yeux pour que vous nous refusiez tout contact, toute relation, et jusqu’à la connivence d’un sourire ? Dans une démocratie moderne, où l’on tente d’instaurer transparence et égalité des sexes, vous nous signifiez brutalement que tout ceci n’est pas votre affaire, que les relations avec les autres ne vous concernent pas et que nos combats ne sont pas les vôtres. Alors je m’interroge : pourquoi ne pas gagner les terres saoudiennes ou afghanes où nul ne vous demandera de montrer votre visage, où vos filles seront voilées à leur tour, où votre époux pourra être polygame et vous répudier quand bon lui semble, ce qui fait tant souffrir nombre de femmes là- bas ? En vérité, vous utilisez les libertés démocratiques pour les retourner contre la démocratie. Subversion, provocation ou ignorance, le scandale est moins l’offense de votre rejet que la gifle que vous adressez à toutes vos soeurs opprimées qui, elles, risquent la mort pour jouir enfin des libertés que vous méprisez. C’est aujourd’hui votre choix, mais qui sait si demain vous ne serez pas heureuses de pouvoir en changer. Elles ne le peuvent pas... Pensez-y. »
Elisabeth Badinter, femme de lettres et "philosophe féministe", présidente du conseil de surveillance et détentrice de plus de 10% du capital de Publicis, quatrième groupe mondial de communication. (La déclaration vient du Monde, j'imagine, moi je la tire de ).

Je suis tellement offusqué là, un cap est passé, je me suis dit que je pouvais essayer de faire comme Harold Bernat (qui a l'air d'avoir laissé la main, par lassitude, ces temps-ci), c'est à dire du bon vieux commentaire de texte (mais je n'ai pas son style malheureusement... enfin, c'est un premier essai).
Je commence facile, avec un texte tellement gros que c'en est stupéfiant, mais il faut un début à tout.

Première phrase : Après que les plus hautes autorités religieuses musulmanes ont déclaré que les vêtements qui couvrent la totalité du corps et du visage ne relèvent pas du commandement religieux mais de la tradition, wahhabite (Arabie Saoudite) pour l’un, pachtoune (Afghanistan/Pakistan) pour l’autre, allez-vous continuer à cacher l’intégralité de votre visage ?

Habile confusion de deux problèmes, et première déclaration franchement choquante : d'une part, un fait : les plus hautes autorités religieuses musulmanes (admettons qu'il y ait consensus sur leur identité) ont déclaré que selon eux, la loi ne commandait pas le voile intégral. Soit.
D'autre part, une accusation : Êtes-vous bornées à ce point ?

Qu'est-ce que cela veut dire, concrêtement ? "je suis renseignée, moi, et je sais bien ce que votre religion vous commande, alors ne venez pas me la ramener." Elisabeth peut décider à la place des Françaises voilées ce que leur religion leur dit de faire, et semble s'offusquer d'autre part qu'on suive une "tradition". Une tradition barbare à ce point en tout cas, et tout cela a pour but de dire : "ne cherchez pas d'excuses derrière la religion". Pourquoi ces femmes devraient-elles chercher des excuses, au fait ? Parce qu'elles sont mises en position d'accusées (le discours commence même à la Cicéronienne : pour combien de temps encore allez-vous nous provoquer !). C'était déjà l'étrange logique du gouvernement, qui décide de punir les femmes voilées parce qu'elles sont humiliées et dominées (cf Pierre Tevanian et Jacques Rancière), mais avec Elisabeth Badinter, on a un son de cloche un peu différent, et les femmes sont désignées comme de pures coupables, coupables d'agression (envers les "Français", visiblement). Voyons la suite.

Ainsi dissimulées au regard d’autrui, vous devez bien vous rendre compte que vous suscitez la défiance et la peur, des enfants comme des adultes.

Passons sur le ridicule de l'invocation des enfants ("salopes, vous faites peur aux enfants !, ces innocents !"). Passons aussi sur l'agressivité, qui est constante dans le texte, du "vous devez bien vous rendre compte", pauvres bornées que vous êtes. Examinons donc simplement l'argument dépouillé de ses fioritures : "vous suscitez la défiance et la peur". Admettons le fait lui-même, et réfléchissons à l'utilisation qui en est faite : vous êtes une catégorie exclue de la population, les gens ressentent une animosité globale envers vous, vous leur faites peur DONC vous êtes coupables et devriez avoir honte. Synthétisons : il existe du racisme donc les arabes sont coupables.

Sommes-nous à ce point méprisables et impurs à vos yeux pour que vous nous refusiez tout contact, toute relation, et jusqu’à la connivence d’un sourire ?

1 : Je me sens insultée, donc tu m'insultes.
2 : Sorte de fierté bizarrement placée : tu veux pas me parler, t'as qu'à te barrer.

Dans une démocratie moderne, où l’on tente d’instaurer transparence et égalité des sexes, vous nous signifiez brutalement que tout ceci n’est pas votre affaire, que les relations avec les autres ne vous concernent pas et que nos combats ne sont pas les vôtres.

Alors là c'est magnifique, on a un super exemple de ce que montre Tevanian dans son article "Une révolution conservatrice dans la laïcité" : la transformation tendancieuse des idéaux démocratiques en leur contraire. "Dans une démocratie moderne", donc, on s'attendrait à ce qu'aucun principe ne vienne contraindre les individus dans leurs libertés individuelles. Mais non, il semble au contraire qu'on soit coupable dès qu'on n'agit pas tout à fait conformément à ce qu'imposent les acquis démocratiques, c'est à dire lorsqu'on n'expose pas ses cheveux au vent. En clair : nous on a le droit de montrer nos cheveux, donc tu nous insultes en cachant les tiens.
Deuxième élément, qui lui me chiffone un peu : la "transparence". Alors là il y a de quoi rester perplexe. La transparence est un des fondements de la démocratie ? Sur un plan politique, peut-être, en économie, admettons, mais dans les moeurs ? Depuis quand la démocratie moderne, c'est : personne n'a rien à cacher ? C'était pas plutôt le droit à la vie privée, en opposition aux logiques totalitaires, l'interdiction de l'arrestation ou de la fouille arbitraires (même si en France on n'a toujours pas d'habeas corpus) ?
Troisième élément, que je rappelle une fois de plus pour la route, un simple adverbe : "brutalement", qui établit avec une certitude apodictique que les femmes toutes voilées sont brutales...

Alors je m’interroge : pourquoi ne pas gagner les terres saoudiennes ou afghanes où nul ne vous demandera de montrer votre visage, où vos filles seront voilées à leur tour, où votre époux pourra être polygame et vous répudier quand bon lui semble, ce qui fait tant souffrir nombre de femmes là- bas ?

"Nul ne vous demandera de montrer votre visage" ? Mais qui le demande en réalité, sinon Elisabeth Badinter elle-même ? Qu'est-ce que donc, sinon : "je suis raciste, je vous le fais savoir, donc vous devriez partir..."
Rappel en vrac de la barbarie musulmane, au milieu d'une question rhétorique franchement immonde. C'est tellement vicieux que j'en ai la nausée :
1 : le discours que cela voudrait être : "Puisque vous ne profitez pas de la démocratie (ce qui est un contresens), et puisqu'ici les racistes (dont je suis) vous embêtent, vous seriez mieux dans ces pays. Comme vous ne pouvez pas vouloir y aller, vous vous contredisez, donc vous devez enlever ce voile que nous ne saurions voir."
Le raisonnement est bancal, pour le moins.
2 : le discours, donc, qui est dit en réalité : "de tels comportements sont bons pour les pays barbares, vous êtes différentes de nous et n'avez rien à faire ici".

En vérité, vous utilisez les libertés démocratiques pour les retourner contre la démocratie.

Contre "la démocratie", c'est à dire, si je comprends bien, contre l'obligation de montrer son sourire à tous les passants.
Et ça encore c'est rien. Pensez à la première partie de la phrase et à l'emploi qui y est fait du terme "utiliser". Elle porte une accusation de détournement de principe, d'usurpation. "Vous dénaturez notre démocratie avec vos comportements barbares. On veut bien donner le droit aux gens de faire ce qu'ils veulent, mais pas si ça veut dire faire comme des musulmans." Et oui, donc, c'est purement du racisme.

Subversion, provocation ou ignorance, le scandale est moins l’offense de votre rejet que la gifle que vous adressez à toutes vos soeurs opprimées qui, elles, risquent la mort pour jouir enfin des libertés que vous méprisez.

1 : "Subversion, provocation ou ignorance" ? C'est quoi cette fausse totalisation avec rythme ternaire ? D'où sortent ces choix bidons ?
2 : Au passage, la subversion est évoquée comme mauvaise en soi, visiblement, dans une bonne grosse logique réactionnaire assez surprenante. Bande de punks, va!
3 : Pour comprendre le choix de ces trois choix qui sont visiblement totalement non pertinents, opérons une analogie : pour qui serait-ce des raisons pertinentes ? Des ados qui afficheraient une croix gammée, par exemple, ou mimeraient le fascisme ("J'ai le droit !"). Utilisation de la liberté d'expression par pseudo-volonté subversive, provocation gratuite ou ignorance de ce que ces signes signifient vraiment. On dira alors : songez au mal que vous faites aux gens pour qui ces signes ne sont pas vides. Or, la situation est tout à fait différente ici, le signe niqab n'est PAS vide pour les femmes voilées, elles n'accomplissent PAS une parodie de Soudan en France... Mais Elisabeth n'a pas l'air chaude pour admettre que choisir le voile puisse avoir un sens. Donc adjectifs non-pertinents, mais ça encore, c'est pas bien grave.
4 : "l'offense de votre rejet", le détournement réactionnaire de la démocratie mis à part, j'avoue que cette vertu outrée me fait rire.
5 :"la gifle que vous adressez à toutes vos soeurs opprimées qui, elles, risquent la mort pour jouir enfin des libertés que vous méprisez" Voilà un autre passage bien vicieux, qui joue uniquement sur un flou autour du mot liberté : liberté de la femme vis à vis de la religion, ou liberté démocratique ?
Alors on va déméler tout ça :
- est-ce que les femmes Afghanes se battent pour qu'on se fasse insulter en France quand on porte le voile intégral ? ça serait étonnant.
- est-ce que quelqu'un défend, comme un droit démocratique, celui d'obliger sa femme à se couvrir le visage ? certainement pas (et c'est illégal depuis bien longtemps). D'ailleurs, ce ne semble pas être le problème ici, puisque notre oratrice attribue aux femmes voilées entière responsabilité pour leurs actes, c'est déjà quelque chose.
- est-ce que ne pas montrer son visage, c'est mépriser le droit de le montrer ? non, on l'a déjà dit.
Alors qui est-ce qui gifle, finalement, celle qui vit différemment de la chrétienne moyenne, ou celle qui, dans un nouveau pathétique grotesque ("il y a des femmes qui risquent leur peau, salopes !"), utilise, sans leur demander leur avis, des femmes opprimées d'un pays lointain pour participer à l'oppression de femmes dans son propre pays ?

C’est aujourd’hui votre choix, mais qui sait si demain vous ne serez pas heureuses de pouvoir en changer. Elles ne le peuvent pas... Pensez-y.

Il faut avouer, c'est une belle fin, tout en logique tordue : est-ce qu'Elisabeth Badinter comprend bien le concept de choix ? Entre A et B, vous avez choisi A, mais dans le pays Z, pas de choix, les femmes doivent être A sous peine de mort. Vous êtes donc folles de ne pas choisir B. Et vas-y que je te culpabilise. De même, vous choisissez A mais un jour vous pourriez choisir B, il est donc honteux de votre part de choisir A. Allez comprendre... "Pensons-y", en effet, il y a de quoi être songeur...

19 juin 2010

J'ai rêvé que j'étais sous-a, ou Obsession

Si on y pense, autant (16+15+13+14+12+16)/6 = 14.33, coefficient 18, et là forcément pour avoir mettons une moyenne totale de 12/20 (384/640), il suffit d'obtenir un coefficient 14 avec une moyenne de 9, autant dire que c'est largement faisable, (ça veut dire gagner un point par rapport à l'année dernière où avec un honorable [17+14.5+8+11+7+14.5]/6 = 12, coefficient 18, on restait très loin du compte à cause d'un misérable [7*3+16*3+6*2+10*2+6*2+3*2]/14 = 8 !, soit un total de 328 points sur 640 !), donc dans ces conditions ça va mais c'est un peu dreamy, alors qu'avec un (13.5+12+7+12+8+12)/6 = 10.75, qui est certes pessimiste, mais crédible, on n'est même pas sûr d'avoir une chance de se ridiculiser devant un jury. Alors bon, si on a fait un test avec un résultat de (15+9+12+13+11.5+16)/6=12.75, ça veut pas dire qu'on peut pas perdre 36 points sur le total d'emblée ! Et même en admettant le 12.75, ça laisse quand même 155 points à gagner pour être sûr, soit une moyenne devant jury d'environ 11, ce qui, avouons le, est délirant... Si on prend les pires notes orales de l'année, ça donne à vue de nez 7+12+7+12+5+6, soit un résultat, en répartissant les coefficients, de 8.35 (honorable pour un pire scénario...). Avec les meilleures notes, évidemment, on arriverait à ((14+16)*3+(12+13+11+14)*2)/14 = un peu moins de 13.6..., mais comment une chance pareille pourrait-elle arriver...
Mais mieux vaut ne pas trop faire de calculs, tout cela est tellement aléatoire au fond...

EDIT = tous les calculs sont faux, puisque le dernier admissible a, parait-il, plus de 13. Oublions tout ça.

23 mai 2010

Robert Wise (1914 - 2005)

J'ai un peu honte de venir parler de Robert Wise, dont je suis loin d'avoir vu toute la filmographie, qui est abondante. Mais c'est qu'il est devenu en quelques temps et en quelques films un de mes réalisateurs préférés, alors qu'il est lui-même beaucoup moins connu que certains de ses films.

C'est grâce à certains réalisateurs dans son genre, dont on dit : Ah, c'est lui qui a fait ce film ? Ah ouais..., que le cinéma américain est si haut dans mon coeur et dans le coeur de ceux qui ont plus de jugeote que de préjugés. On pourrait aussi parler de John Huston (La nuit de l'iguane, Moby Dick, le Faucon maltais, Gens de Dublin...), de John McTiernan (Die Hard 1 et 3, Predator, le treizième guerrier...), ou, plus reconnu pour lui-même, Blake Edwards (Victor/Victoria, la panthère rose, The party, Qu'as-tu fait à la guerre papa ?...). Ils sont nombreux, à ne pas avoir été avares en chefs d'oeuvre, mais des chefs d'oeuvre un peu dispersés au milieu de productions plus ou moins brillantes. On dit parfois de ces réalisateurs qu'ils n'ont pas de style, pas de personnalité en tant qu'artistes (on dit surtout ça de Robert Wise, parce que McTiernan de toute façon il est mal vu en général).

Robert Wise, donc, que vous ne connaissez pas, c'est celui qui a fait West Side Story (1961), La mélodie du bonheur (1965, c'est le film familial ultime, bizarrement peu connu en France, mais aux USA c'est pire encore que le magicien d'Oz, c'est recommandé par l'église et tout, et ça le mérite, mais c'est juste merveilleux), que vous connaissez peut-être, et puis The Haunting (1963, en français "la maison du diable", ce qui est un titre ridicule), Le jour où la terre s'arrêta (1951) et Nous avons gagné ce soir (1949), que vous connaissez moins probablement, mais c'est un tort. Et puis plein d'autres, moins connus et moins acclamés (mais quand même, Je veux vivre!, de 1958).

Tout ça pour dire que Wise fait partie de ces réalisateurs qui sont défavorisés par le principe de la liste, qui limite à 1 film par réalisateur : si West Side Story n'était pas présent parmi les astres, le cinéma d'épouvante serait excellement représenté par The Haunting : c'est un étrange film, sur l'irrationalité de la peur, qui d'un côté à l'air d'avoir beaucoup vieilli, dans le style de parole ou les attitudes des personnages, mais d'un autre côté, purement cinématographique celui-là, a l'air d'être brand new, et du coup tout paraît fait exprès pour nous mettre dans une ambiance inquiétante. Et pour être inquiétante, elle l'est, et c'est un film absolument terrifiant, bien sûr.

Le jour où la Terre s'arrêta, il faudrait en dire de même : c'est un film superbe, très classieux, qui a peut-être vieilli en fin de compte mais sur des aspects tels que ça finit par le mettre en valeur. Et puis bon, c'est mythique, ça a tout inspiré, et si vous êtes cinéphiles (ou juste un peu geek : Tron, Evil Dead, Star Wars...) vous avez déjà entendu ces paroles : "Klaatu Barada Nikto". Eh ben ça vient de là, c'est dire. Surtout, c'est un film de science fiction capital, et un bon sujet de réflexion pour une dissert de géo-politique.


Nous avons gagné ce soir, je ne l'ai malheureusement pas vu, mais c'est très connu pour être un film majeur sur la boxe (son prestige a un peu décliné depuis Ragging Bull, ce qui se comprend aussi). Mais justement, tout ce que je sais sur ce film, c'est que quand on suggérait à Scorcese de tourner Ragging Bull, il a dit : pourquoi faire, y a déjà un chef d'oeuvre sur la boxe ?

La mélodie du bonheur, c'est un peu délicat, ça serait presque honteux. Disons que heureusement West Side Story, qui est sombre, réaliste, tragique (si, si) vient compenser le monde en sucre de The Sound of Music. Mais il ne faudrait pas s'arrêter là et insulter ce film qui est tout de même une des plus belles choses qu'on ait jamais faite en cinémascope. Alors bon bien sûr, les allergiques aux comédies musicales passeront leur tour. On est là au sommet de la classe américaine. Je l'appelais la comédie familiale ultime, et dans cette perspective, je vous conseille le DVD, où Julie Andrews vous explique pourquoi c'est un peu de douceur et de bon sentiments, salvateurs dans un monde de brute dominé par les jeux vidéos et les films de guerre, et où, évidemment, les chansons sont fournies en version Karaoké pour pouvoir chanter avec les enfants. On pourrait aussi définir ce film (comme je l'ai déjà fait en parlant de la comédie musicale) comme : la preuve qu'on peut battre les nazis sans donner un coup de poing. Alors pourquoi ce film ? Rien que la bande son mériterait qu'on en tombe amoureux, en particulier My favorite things. Je sens que ceux qui savent de quoi il s'agit vont se moquer, mais franchement, voyez ce film et vous serez enthousiastes à l'idée de les avoir en version karaoké pour vous y mettre en coeur. ("Cream colored ponies and crisp apple streudels/ Doorbells and sleigh bells and schnitzel with noodles/ Wild geese that fly with the moon on their wings/ These are a few of my favorite things..."). West Side Story, c'est un New York de studio (pas entièrement cela dit), les couleurs sont créées hors du néant (ah, la scène du bal...) : nous sommes là dans les alpes autrichiennes, filmées en panoramique, en hélicoptère même, c'est splendide, grandiose, verdoyant. Ca pourrait être un choix de mauvais goût si ce n'était pas une réussite si implacable. Et Julie Andrews est merveilleuse, mais ça va de soi.


(désolé pour la qualité de l'image, ça rend pas hommage aux paysages, qui sont pour une bonne part dans la réussite de l'ensemble)

Et puis bon, West Side Story. Alors moi je veux bien que l'artiste ait pas de personnalité, mais enfin avoir fait tout ce qui précède et puis faire ça, je veux dire, la merveille des merveilles, West Side Story, c'est pas le travail d'un artisan, d'un appliqué... On essaie de dire que c'est pas un film seulement de lui, sous prétexte que le chorégraphe a mis en scène les parties dansantes, et que c'est l'adaptation d'un spectacle de Broadway, tout ça, mais c'est ridicule, ce film on l'aime pour des raisons de pur cinéma, pour les couleurs, les plans, la mélancolie... West Side Story est donc un film réaliste, malgré les apparences, sur l'immigration, le racisme. C'est aussi Roméo et Juliette au début des 60's. C'est surtout une idée de la perfection au cinéma, sa quintessence. Et enfin, quoi, on n'a rien fait de mieux.

06 mai 2010

La passion de Jeanne d'Arc, 1928

"Il ne s'agit pas de dire que ces concepts d'images sont exclusifs les uns des autres, mais c'est pour donner une idée. Et par exemple, je crois qu'il est assez évident qu'un film comme le Jeanne d'Arc de Dreyer est composé presque entièrement d'images-émotions..."
Gilles Deleuze, cours sur le cinéma

Pas grand chose à dire sur ce film, qui parle de lui-même. Disons que le concept est vite compris : c'est à peu près 1h20 sur le visage de Jeanne d'Arc, impuissante, lors de son procès, filmée dans un enchaînement de close shots intenses et lacrymaux. J'imagine que l'expérience peut sonner insoutenable pour certains, mais c'est en réalité un film très émouvant (il est vrai que j'ai tendance à être très touché par le personnage, dont l'histoire a été adaptée à peu près un million de fois, et souvent dans des chefs d'oeuvre... Voyez au moins Péguy, Bernard Shaw, et sans doute aussi Brecht, Claudel, Anouilh, Schiller, Shakespeare, Verdi, Bresson (et non Besson, attention, lui c'est l'exception...), etc., toutes oeuvres que je n'ai pas encore approchées moi même). Alors bon, Jeanne d'Arc, Dieu ou la vie, la violence de l'Eglise et l'innocence de la combattante, tout ça, je vois pas comment on pourrait résister...
Profitons de l'occasion pour clarifier ce que je pense des chrétiens ("Aux lions les chrétiens !"). L'art chrétien a produit a peu près tout ce qui s'est fait de mieux dans l'histoire du cinéma (dans l'histoire du cinéma aussi, oserais-je dire, même si je crois que le roman par exemple a pas mal échappé à l'hégémonie [encore que, Chrétien de Troyes, Dostoievski...]). Je sais que j'exagère, mais quand même, c'est impressionnant. Je ne voudrais pas toutefois qu'on se méprenne : l'air chrétien est le plus dense et le plus bouleversant, mais il n'est pas très sain. Le cinéma laïque, de la vie comme elle vient et de l'absence de transcendance, est un bien meilleur lieu où vivre, et c'est celui-là qui nous rend heureux (comme Billy Wilder, ou Jacques Tati...). Mais revenons à nos moutons (du Seigneur) : le christianisme, c'est sublime et terrible quand ça cause : de la foi (Dreyer), du sacré comme seule voie de salut dans un monde perdu (Tarkovski), du sacrifice (Tarkovski encore) ou même de la pure transcendance (Pasolini). Mais l'humiliation, les moines qui tendent l'autre joue et les béats bienheureux (Les onze Fioretti de François d'Assise, de Rossellini), non merci, ça va, on va regarder Shortbus plutôt...

C'est une production française, ce qui nous permet de piquer un chef d'oeuvre au Danemark (comme dans les 70's on piquera L'empire des sens au Japon), et c'est bien, on n'en a pas beaucoup. On pourrait parler aussi du caractère miraculeux de l'existence même de ce film, qui en fait n'est apparu en son état actuel que dans les années 1980. C'est folklorique, et fait partie de ces histoires cruelles qui arrivent aux bobines, comme aux Rapaces d'Erich Von Stroheim, aujourd'hui massacré au montage. Sauf que cette histoire là a une issue aussi heureuse qu'invraisemblable : une fois toutes les copies brûlées, disparue ou abimées, le réalisateur mort et bien enterré, on retrouve dans un asile psychiatrique en Norvège une copie de l'original, avant la censure et les incendies. A propos d'asile psychiatrique (?), Artaud joue Jean Massieu, un des rôles principaux (ou disons plutôt un des visages les plus filmés, parce que c'est pas comme s'il y avait une intrigue), et il est, évidemment, d'une beauté plutôt incroyable (évidemment parce qu'on est en 1928, avant qu'il ne prenne le visage terrifiant des aliénés) ; ça rend le tout encore plus émouvant, un peu comme l'apparition fantomatique de Buster Keaton vieux et toujours aussi beau, dans Sunset Boulevard, dont je parlais il y a peu. C'est toujours intéressant ces apparitions qui nous sortent en partie du cadre (resserré) du film et produisent comme des échos à travers l'Histoire. D'autant que dans Sunset Boulevard, Keaton est vraiment engagé comme une guest star, alors qu'Artaud ne l'est devenu qu'a posteriori. Et puis il y a Renée Falconetti (on a le temps de la contempler, et ce n'est pas la chose la plus répugnante à faire), une actrice de théâtre française, embarquée dans cette histoire, qui n'a rien fait d'autre au cinéma qui ait quelque importance, et qui fait tout. C'est un film sur le visage de Renée Falconetti en train de pleurer.

Le truc, c'est qu'on a jamais fait du cinéma comme ça, que c'est absolument parfait, et qu'on se dit : pourquoi tous les autres films se ressemblent, comparés à ça ?

05 mai 2010

Explication de la liste

(la liste)

L'explication :

Principles :
- 1 director = 1 movie.
- No internal ranking into the sub-lists.

Results :
10 movies (accidental number) from a) to j) = The overwhelming, beyond-comprehension ones.

31 movies (also an accidental number) from z) to f) through a) = The bloody major masterpieces, and therefore something like my favorite ones.

x-1 (currently around 96 - 1 I think) movies from whatever) to whatever) = the other masterpieces I happen to have seen.

May be useful ? :
List 1 : to know me
List 2 : to know what I think about the cinema as an art
List 3 : if you don't know what to watch, there is what I may suggest.

Movies that are not in the list :
Movies not selected in a director's complete works (e.g. : Green Snake, by Tsui Hark)
Movies I haven't had the occasion to see (e.g. : man with a movie camera, by Ziga Vertoz)
Movies I really don't know anything about (e.g. : The important think is to love, by Andrzej Zulawski)
Movies I have liked but I'm not sure I will be liking if I see them again (nothing pops into mind right now).
Legitimate movies I don't like for ideological reasons (two major examples : Ben-Hur, by William Wyler ; The Flowers of St. Francis, by Roberto Rossellini)
Legitimate movies I don't like for technical/cinematographical reasons (e.g. : Russian Ark, by Alexander Sokurov)
Masterpieces I have seen but not remembered (e.g. : ?)
Movies I haven't seen the proper way (e.g. : anything by Mizoguchi)
Movies I see a lot but I have qualms considering as masterpieces (e.g. : Marie-Antoinette, by Sofia Coppola)
Bad movies (e.g. : Pretty Woman, by Garry Marshall)
Other movies

N.B. :
I think the real criterium to decide whether a movie belongs to the first, the second, or the third list is : If one of the films in the first two lists happened to disappear, it would be something lost for myself. If one of the films in the third list happened to disappear, it would be a loss for the art only.

23 avril 2010

Deleuze

"Henry James... Est-ce que Henry James était le romancier ? William James ! Ca c’est un cas, ça fait partie aussi de tout ce que j’essaye de faire un peu cette année quand je vous dis... moi je tiens à reprendre les histoires sur Pierce pour vous montrer qu’un auteur assez peu connu peut être génial. Le cas de Williams James ça c’est encore un autre cas parce que lui, il est très connu mais on l’a littéralement massacré, c’est à dire à force d’avoir retenu dans les manuels des points de ses théories pas faux, qui sont bien chez lui, mais de l’avoir coupé de tout le contexte. William James c’est un auteur prodigieux, génial. C’est un des plus grands philosophes américains et contrairement à ce qu’on dit les américains ils ont plein de très grands philosophes seulement ils ne les lisent pas, ils ne le savent pas, ils les ont oubliés. Et ils les ont oubliés à cause de quoi ? A cause de leur connerie de logique formelle, mais les anglais aussi ils ont sacrifié tous leurs philosophes. C’est pas qu’ils en manquaient, ils en avaient de géniaux, de prodigieux. La logique formelle a joué en Angleterre, et la linguistique d’ailleurs, le même rôle qu’en France, la psychanalyse et la linguistique. Une besogne d’écrasement fantastique. Bon, c’est triste mais enfin ça passera tout ça. Bon, il faut être optimiste. Alors il n’y a qu’à tendre le dos quand ça va mal et puis attendre les jours meilleurs, c’est ce qu’on fait tous. Alors donc je reprends..."

20 avril 2010

The private life of Sherlock Holmes, 1970


Pourquoi ai-je choisi ce film dans l'oeuvre de Billy Wilder pour le mettre dans la liste ?
Je ne l'ai vu qu'une fois, probablement au cours d'une rétrospective. C'était il y a des années, à l'époque je commençais à m'intéresser au cinéma. J'ai adoré, tout de suite, je me souviens, mais enfin pas au point de me dire que ça allait être un de mes films fétiches. C'est juste que dans la deuxième liste (celle qui va de z à f en passant par a, si vous avez compris le principe), je ne pouvais pas omettre Billy Wilder, qui est assurément un des réalisateurs que j'aime le mieux.

Vous allez dire :

- Alors, Boulevard du Crépuscule, voyons ! Le gros classique monstrueux, l'oeuvre intouchable, la perle du cinéphile !

- Oui, évidemment, pour Buster Keaton, presque sorti de la tombe, toujours aussi beau, toujours aussi tragique. Pour la noirceur mystérieuse et le scénario béton. Mais non, parce que ce ne sont pas les films noirs, dans l'oeuvre de Billy plus sauvage, qui m'ont rendu amoureux quand je l'ai découverte...



- Tu aimes ses comédies ? Mais alors, le grand classique, le grand chef d'oeuvre populaire, la comédie américaine la plus adulée (à peu de choses près) : Certains l'aiment chaud ! Arrête de faire ton snob et de nous parler d'un film que personne ne connaît et qui est noté à moins de 8 sur IMDB !

- Oui, évidemment, parce que Marilyn et le mélange d'effronterie et d'innocence bien connu... Parce que Tony Curtis au sommet, parce que Jack Lemmon en délire, parce que le trouble des genres, parce que "Nobody's perfect", pour George Raft et les hommages hilarants à Scarface... Bien sûr...



Mais en fait, ce film est bien trop brillant pour un coup de foudre. C'est du pur génie, mais dans une ambiance hollywoodienne, c'est shiny... Un amoureux veut plus d'intimité, il veut des déclarations de principes plus discrètes.

Je vais vous dire pourquoi j'aime Billy Wilder entre tous les américains : parce qu'il n'est pas du tout frondeur, mais que, au monde d'Hollywood, au monde du code Hays, il soustrait la morale. L'histoire se déroule l'air de rien, tout est hilarant, mais à la fin toute culpabilité s'évanouit, tout ressentiment, tout puritanisme. On rigole, on pardonne, les principes n'ont plus l'air de ressembler à rien. L'homosexualité est une opportunité à saisir. L'adultère, une occasion de sauver un mari, un rêve à réaliser, ou une histoire du passé et qui n'est pas bien grave : voyez Embrasse-moi idiot !, ou Avanti !. Billy Wilder, cela sauve le monde, ça l'allège, ça l'enchante.

- Pourquoi Sherlock, dans ce cas ?

- J'y viens. A plusieurs occasions dans sa vie, Billy a quitté Hollywood, il s'est enfui des gros studios pour ne pas avoir la grosse machine sur son dos (je parle d'après son départ d'Allemagne, bien entendu). En 1948, il se rend dans Berlin occupé pour faire un film sur Berlin occupé, La scandaleuse de Berlin, avec Marlene Dietrich. Il prétend y aller pour faire couleur locale (et il y arrive très bien). Résultat : un film très étrange, dans lequel le rôle des américains est plus que mis en question. En fait, dans ses films noirs aussi, la belle morale propre s'est fait la malle, sauf que là, c'est le côté sombre de l'amoralité qui prime. Dans Sunset Boulevard, c'est la richesse et l'amertume qui créent les situations perverses, la position intenable, la crise à venir (dont on sait la conséquence dès l'entrée). Dans La scandaleuse, c'est l'anarchie de l'après guerre, l'occupation, les manteau de fourrure vendus pour une plaquette de beurre.
Plus de vingt ans plus tard, Billy a fait une belle carrière aux USA, mais il part en Europe, pour se dégager les bronches. Ce qu'il acquiert dans notre vieux monde (d'où il était venu au nouveau), c'est de la liberté, plus de légèreté encore. Une sorte d'indépendance, quelque chose comme l'esprit du film d'auteur opposé à l'esprit des studios. N'oublions pas qu'il retourne en Europe au début des seventies, alors que le film d'auteur européen (mais aussi américain) est sur le point de porter le cinéma à son sommet. En 1972, en Italie, il fera Avanti!, avec Jack Lemmon encore. Mais avant, en 1970, il s'offre un épisode de la série des Sherlock Holmes.
Pourquoi ce film est-il mon préféré ? Parce qu'il a tout ce que les autres ont, avec un zeste d'esprit anglais en plus. Avec plus de délicatesse dans l'intelligence. C'est plus drôle parce que plus fin. Et puis c'est moins connu, c'est une pierre précieuse.


Désolé pour les non-anglophones, je sais ça parle beaucoup, c'est l'humour british, vous savez bien, faut du texte pour être subtil... Admirez le départ en musique.

"Être poète à ses heures"

en passant, deux oeuvres essentielles :

1)
Léon Bloy,
Exégèse des lieux communs

Préface :
"Obtenir enfin le mutisme du Bourgeois, quel rêve !
L’entreprise, je le sais bien, doit paraître fort insensée. Cependant je ne désespère pas de la démontrer d’une exécution facile et même agréable.
Le vrai Bourgeois, c’est-à-dire, dans un sens moderne et aussi général que possible, l’homme qui ne fait aucun usage de la faculté de penser et qui vit ou paraît vivre sans avoir été sollicité, un seul jour, par le besoin de comprendre quoi que ce soit, l’authentique et indiscutable Bourgeois est nécessairement borné dans son langage à un très-petit nombre de formules.
Le répertoire des locutions patrimoniales qui lui suffisent est extrêmement exigu et ne va guère au delà de quelques centaines. Ah ! si on était assez béni pour lui ravir cet humble trésor, un paradisiaque silence tomberait aussitôt sur notre globe consolé !"

Lieu Commun XXVIII, "Être poète à ses heures"

Je vous mets au défi de trouver un Bourgeois qui ne soit pas poète à ses heures. Ils le sont tous, sans exception. Le Bourgeois qui ne serait pas poète à ses heures serait indigne de la confrérie et devrait être renvoyé ignominieusement aux artistes, à ces espèces d’esclaves qui sont poètes aux heures des autres.

Par exemple, il est un peu difficile de comprendre et d’expliquer ce que peut bien être cette poésie aux heures du Bourgeois. Supposer un instant que cet huissier se repose des fatigues de son ministère en taquinant la muse, qu’il se console du trop petit nombre de ses exploits en exécutant des cantates ou des élégies, serait évidemment se moquer de ce qui mérite le respect. Ce serait, si j’ose le dire, une idée basse.

Le Bourgeois n’est pas un imbécile, ni un voyou, et on sait que les vrais poètes, ceux qui ne sont que cela et qui le sont à toutes les heures, doivent être qualifiés ainsi. Lui est poète en la manière qui convient à un homme sérieux, c’est-à-dire quand il lui plaît, comme il lui plaît et sans y tenir le moins du monde. Il n’a même pas besoin d’y toucher. Il y a des domestiques pour ça. Inutile de lire, ni d’avoir lu, ni seulement d’être informé de quoi que ce soit. Il suffit à cet homme de s’exhaler. L’immensité de son âme fait craquer l’azur.

Mais il y a des heures pour ça, des heures qui sont siennes, celle de sa digestion, entre autres. Quand sonne l’heure des affaires, qui est l’heure grave, les couillonnades sont immédiatement congédiées.

— Être poète à ses heures, rien qu’à ses heures, voilà le secret de la grandeur des nations, me disait, dans mon enfance, un bourgeois de la grande époque."




2)

Blaise Cendrars, La prose du Transsibérien et de la petite Jehanne de France

VITESSE

Effeuille la rose des vents
Voici que bruissent les orages déchaînés
Les trains roulent en tourbillon sur les réseaux enchevêtrés
Bilboquets diaboliques
Il y a des trains qui ne se rencontrent jamais
D'autres se perdent en route
Les chefs-de gare jouent aux échecs
Tric-Trac Billard Caramboles Paraboles
La voie ferrée est une nouvelle géométrie
Syracuse Archimède
Et les soldats qui l'égorgèrent
Et les galères Et les vaisseaux
Et les engins prodigieux qu'il inventa
Et toutes les tueries
L'histoire antique L'histoire moderne
Les tourbillons Les naufrages
Même celui du Titanic que j'ai lu dans un journal
Autant d'images-associations que je ne peux pas développer dans mes vers
Car je suis encore fort mauvais poète
Car l'univers me déborde
Car j'ai négligé de m'assurer contre les accidents de chemins de fer
Car je ne sais pas aller jusqu'au bout
Et j'ai peur





19 avril 2010

The Night of the Iguana, 1964

Pour commencer, une bande annonce formidable.


Ah, Tennessee Williams, voilà un auteur comme on n'en a pas en France : hilarant, festif, sombre, glauque, alcoolique, terriblement poétique, et toujours à travailler sur les bords de la folie. Un auteur du Mississipi, les USA tels qu'on les déteste, le Sud, la violence. La Nuit de l'iguane, c'est tout ça.



Et puis John Huston, un réalisateur comme on risque pas d'en avoir en France. Un américain vrai de vrai, qui fait des films noirs, de guerre, des westerns racistes... Oui sauf que non. Sauf que c'est un génie, un peu embarqué par Hollywood parfois, pour le meilleur (Le faucon maltais) ou le "pire" (Le vent de la plaine, dont néanmoins tous les plans sont sublimes). Un type d'une vigueur et d'une efficacité de mise en scène inouïe. Et quand le scénario vient d'un des meilleurs dramaturges du pays, ça donne un autre film sans âge, d'une très grande puissance, tout à fait bouleversant. Un chef d'oeuvre majeur dont je ne saurais pas très bien parler.

Un mot sur les acteurs : Richard Burton, anglais (gallois, pardon ! ouh la gaffe...), splendide, dans un rôle fort comique et fort nerveux. Deborah Kerr, trop peu connue pour son talent, qui apparaît en quelques années dans un paquet de chefs d'oeuvres avec des rôles toujours plus ambigus (Le narcisse noir, les Innocents...). Ava Gardner, juste magnifique. C'est un travelling latéral sur Ava Gardner, se baignant de nuit, un plan presque tout à fait noir, qui tire plus que les autres ce film hors de son époque et le hisse dans la sphère des merveilles sans pareilles.

Mais pour le moment, un peu de poésie :

18 avril 2010

A star is born, 1954



Une comédie musicale ?
Pas si sûr.

Il y a plusieurs sortes de comédie musicale (et je les aime toutes) : elles se différencient par le rôle des chansons et la manière de les intégrer dans l'histoire.
Certaines font fi de tout réalisme et intègrent au milieu d'un monde somme toute vraisemblable de véritables spectacles, qui vont parfois jusqu'au pur délire, et au cours desquels le monde entier se met à faire des claquettes. Ce qui compte, alors, c'est le brio, et le spectacle est apprécié en lui-même, comme si on était au music-hall (type [le merveilleux] Un Américain à Paris, par [le merveilleux] Minelli, avec [le merveilleux] Gene Kelly).
Parfois elles font comme si les gens chantaient dans le monde réel, et l'acceptent avec une naïveté totale (type [le merveilleux...etc...] La mélodie du bonheur, de Robert Wise, avec Julie Andrews, où l'on triomphe des nazis sans même donner un coup de poing).
Parfois, et c'est le type le plus classique, le type Walt Disney (cf. Mary Poppins avec la même sublime Julie Andrews, ou Le Roi Lion, etc.), on accepte par convention que certains passages dramatiques s'accomplissent en chansons (type West Side Story, de Robert Wise aussi, on y reviendra).
Et puis il y a Une étoile est née, de George Cukor, avec Judy Garland.
Le joyau pur.

Ce film n'est pas une comédie musicale. On n'y tombe pas amoureux au premier regard dans un bal. On n'échappe pas aux nazis avec des bons sentiments. C'est un film d'une tristesse et d'un réalisme incroyable, sur le monde du spectacle, sur Hollywood. Un film absolument sans âge, parce qu'il parle de sa propre époque avec un recul infini, une majesté et une ampleur extraordinaire. C'est un film sur une star qui naît, évidemment, mais aussi sur les relations d'amour contre vents et marées, sur la difficulté de la vie réelle... Comme vous avez vu avec la première vidéo, on peut montrer beaucoup de ce film sans montrer de chanson. Judy Garland est là, et elle est bouleversante. C'est une des plus grandes performances d'actrice qui soit.
Mais, allez-vous dire, pourquoi nous parler de comédie musicale si ce n'en est pas une ? Parce qu'il y a les chansons, malgré tout. Des chansons avec tout le brio, toute la splendeur des comédies musicales classiques. Sauf que ce n'est pas un monde de rêve. Il y a des chansons parce que la protagoniste est une chanteuse et que des fois elle chante. Chaque chanson est intégré dans l'histoire, pas seulement formellement, mais aussi de façon hautement dramatique. Le fait même que la chanson se déroule a une fonction, et tu attends les réactions qui suivront avec fébrilité.
Prenons la séquence qui suit : le personnage qu'incarne James Mason est en convalescence, il est chez lui, viré du monde du spectacle, tandis que sa femme est cette star qui monte. On ne sait ce qui va advenir du couple, il se sent humilié. Sa femme rentre et on a l'impression que leur histoire peut marcher à nouveau. Alors elle lui raconte sa journée, pour mettre de la joie de vivre dans cette ambiance lourde :

17 avril 2010

Soy Cuba, 1964



C'est simplement le premier plan (car il n'y a là qu'un seul plan) à t'estomaquer comme ça. Une sorte de provocation, dans le cinéma des années soixante. Une déclaration de principe au début du film, qui vient proclamer : "Vous voyez, ma caméra peut voler. En fait, elle peut faire ce qu'elle veut." Ce film est un miracle en ce qu'il associe le propos le plus efficace et le plus enthousiasmant (c'est tout simplement un film sur la justice, la liberté, la révolution, la jeunesse, l'amour, tout ça...) avec la forme la plus novatrice, la plus aboutie et la plus extraordinaire, se permettant des audaces qu'on retrouvera peut-être chez le Brian de Palma le plus radical, à la fin des seventies, mais pas si souvent, pour sûr. Mikhaïl Kalatazov, le réalisateur, avait été envoyé par l'URSS dans le cadre d'une coopération artistique avec le nouvel État cubain. Comme Eisenstein avait accompagné la révolution russe, Kalatazov accompagne la cubaine en recommençant le cinéma à zéro, et avec l'ambition d'une pleine liberté. Le film est censuré aux USA, remisé dans les placards en URSS, résultat : il reste à peu près inconnu et invisible jusqu'au festival de San Francisco en 1993, quand Scorcese et Coppola le redécouvrent. Scorcese déclare après coup : « Je pense que si ce film avait été montré en 1964, le cinéma aurait été différent dans le monde entier ». Évidemment.
Observez comment ça débute (car c'est bien un incipit) en ironisant sur le faste et la vulgarité de la société américanisante qui a envahi Cuba, alors que le mouvement entreprenant de la caméra (qui par moments dans le film incarne explicitement le regard de l'île elle-même) annonce les futurs mouvements qui suivront, eux, ceux de la volonté de justice et de l'insurrection révolutionnaire.
Une merveille, donc, qui montre bien qu'on est pas obligé d'être chiant quand on fait du plan séquence...

16 avril 2010

état provisoire en 10 + 31 + x-1 films/réalisateurs

(et son mode d'emploi)

a)Soy Cuba, Mikhail Kalatazov (1964)
b)Une étoile est née, George Cukor (1954)
c)Edvard Munch, Peter Watkins (1974)
d)L'empire des sens, Nagisa Oshima (1976)
e)Playtime, Jacques Tati (1967)
f)West Side Story, Robert Wise (1961)
g)Le mécano de la Générale, Buster Keaton (1927)
h)Cria Cuervos, Carlos Saura (1976)
i)Une femme sous influence, John Cassavetes (1974)
j)Théorème, Pier Paolo Pasolini (1968)


z)La nuit de l'iguane, John Huston
y) The Wicker-Man, Robin Hardy
x)Ragging Bull, Martin Scorcese
w)Créatures Célestes, Peter Jackson
v)La nuit du chasseur, Charles Laughton
u)Conversation secrète, Francis Ford Coppola
t)Lawrence d'Arabie, David Lean
s)Docteur Folamour, Stanley Kubrick
r)La vie privée de Sherlock Holmes, Billy Wilder
q)Le sens de la vie, Terry Jones & The Monty Python
p)Le roi et l'oiseau, Paul Grimault
o)Faux-semblants, David Cronenberg
n)Roma, Federico Fellini
m)Sonate d'Automne, Ingmar Bergman
l)Excalibur, John Boorman
k)Profession : reporter, Michelangelo Antonioni
j)Mon voisin Totoro, Hayao Miyazaki
i)The Lovers, Tsui Hark
h)La passion de Jeanne d'Arc, Carl Theodor Dreyer
g)Dersou Ouzala, Akira Kurosawa
f)Phantom of the paradise, Brian de Palma
e)Suspiria, Dario Argento
d)Un condamné à mort s'est échappé, Robert Bresson
c)Vertigo, Alfred Hitchkock
b)La femme et le pantin, Josef Von Sternberg
a)Solaris, Andreï Tarkovski
b)Bonjour, Yasujiro Ozu
c)Pierrot le Fou, Jean-Luc Godard
d)Nosferatu, Friedrich W. Murnau
e)Bandits à Orgosolo, Vittorio de Seta
f)Le secret de Veronika Voss, Rainer Werner Fassbinder

i)Le nouveau monde, Terence Malick
h)Les chiens de paille, Sam Peckinpah
g)Pluie noire, Shohei Immamura
f)Citizen Kane, Orson Welles
e)Paris, Texas, Wim Wenders
c)Chantons sous la pluie, Gene Kelly
b)Wall-E, Andrew Stanton
b)Dogville, Lars Van Trier
c)Elephant, Gus Van Sant
d)Kill Bill, Quentin Tarantino
e)Les Liaisons Dangereuses, Stephen Frears
i)Bloody Sunday, Paul Greengrass
j)Les temps modernes, Charlie Chaplin
k)Pour quelque dollars de plus, Sergio Leone
l)La montagne Sacrée, Alexandro Jodorowski
r)Fire Walk With Me, David Lynch
t)Black book, Paul Verhoeven
v)The Thing, John Carpenter
w)Predator, John MacTiernan
y)Alien, Ridley Scott
a)Dolls, Takeshi Kitano
b)Indiana Jones, Steven Spielberg
c)The Wrestler, Darren Aronofsky
y)Une question de vie ou de mort, M. Powell et E. Pressburger
o)L'ange exterminateur, Luis Bunuel
d)Chungking express, Wong Kar-Wai
g)Ed Wood, Tim Burton
s)La rose pourpre du Caire, Woody Allen
h)Shortbus, John Cameron Mitchell
h)Brazil, Terry Gilliam
s)Mad Max, Georges Miller
t)Impitoyable, Clint Eastwood
u)Perfect Blue, Satoshi Kon
z)Macadam à deux voies, Monte Hellman
a)Avalon, Mamoru Oshii
c)Rosemary's Baby, Roman Polanski
e)Rio Bravo, Howard Hawks
d)L'homme qui tua Liberty Valance, John Ford
d)Freaks, Tod Browning
z)Ratatouille, Brad Bird
e)Le magicien d'Oz, Victor Fleming
z)Eve, Joseph L. Mankiewicz
i)Star Wars (IV, V, VI), G. Lucas, I. Kershner et R. Marquand
e)Metropolis, Fritz Lang
d)Soyez sympas, rembobinez, Michel Gondry
o)Trainspotting, Danny Boyle
y)Un jour sans fin, Harold Ramis
s)Pépé le moko, Julien Duvivier
y)L'atalante, Jean Vigo
j)La règle du jeu, Jean Renoir
f)Lady Chatterley, Pascale Ferran
t)Harold et Maude, Hal Ashby
a)Le Lauréat, Mike Nichols
d)Titanic, James Cameron
e)Baby Doll, Elia Kazan
r)Casablanca, Michael Curtiz
j)Intolérance, D.W. Griffith
s)Alexandre Nevski, Serguei M. Eisenstein
s)Häxan, Benjamin Christensen
s)La Party, Blake Edwards
s)Dead Man, Jim Jarmush
z)La fiancée du monstre, Edward D. Wood Jr.
z)Fantasia, Walt Disney Pictures
r)Naked City, Jules Dassin
f)Akira, Katsuhiro Otomo
g)Une histoire d'amour suédoise, Roy Andersson
v) 12 portraits (première série), Alain Cavalier
e)To be or not to be, Ernst Lubitsch
u)Evil Dead II, Sam Raimi
y)Le destin, Youssef Chahine
m)Kuch Kuch Hota Hai, Karan Johar
f)L'après-midi d'un tortionnaire, Lucian Pintilie
o)Le monde perdu, Harry O. Hoyt
p)L'au-delà, Lucio Fulci
q)La baie sanglante, Mario Bava
g)Le chat misanthrope, Tex Avery
r)Cannibal Holocaust, Ruggero Deodato
e)Massacre à la tronçonneuse, Tob Hopper
t)Salomé, Colin McKenzie
g)

__(to be continued...)

______(et un cran en dessous encore, simplement tous les bons et les excellents films/réalisateurs...)
_____________(...qui est-ce qui manque ?)