23 mai 2010

Robert Wise (1914 - 2005)

J'ai un peu honte de venir parler de Robert Wise, dont je suis loin d'avoir vu toute la filmographie, qui est abondante. Mais c'est qu'il est devenu en quelques temps et en quelques films un de mes réalisateurs préférés, alors qu'il est lui-même beaucoup moins connu que certains de ses films.

C'est grâce à certains réalisateurs dans son genre, dont on dit : Ah, c'est lui qui a fait ce film ? Ah ouais..., que le cinéma américain est si haut dans mon coeur et dans le coeur de ceux qui ont plus de jugeote que de préjugés. On pourrait aussi parler de John Huston (La nuit de l'iguane, Moby Dick, le Faucon maltais, Gens de Dublin...), de John McTiernan (Die Hard 1 et 3, Predator, le treizième guerrier...), ou, plus reconnu pour lui-même, Blake Edwards (Victor/Victoria, la panthère rose, The party, Qu'as-tu fait à la guerre papa ?...). Ils sont nombreux, à ne pas avoir été avares en chefs d'oeuvre, mais des chefs d'oeuvre un peu dispersés au milieu de productions plus ou moins brillantes. On dit parfois de ces réalisateurs qu'ils n'ont pas de style, pas de personnalité en tant qu'artistes (on dit surtout ça de Robert Wise, parce que McTiernan de toute façon il est mal vu en général).

Robert Wise, donc, que vous ne connaissez pas, c'est celui qui a fait West Side Story (1961), La mélodie du bonheur (1965, c'est le film familial ultime, bizarrement peu connu en France, mais aux USA c'est pire encore que le magicien d'Oz, c'est recommandé par l'église et tout, et ça le mérite, mais c'est juste merveilleux), que vous connaissez peut-être, et puis The Haunting (1963, en français "la maison du diable", ce qui est un titre ridicule), Le jour où la terre s'arrêta (1951) et Nous avons gagné ce soir (1949), que vous connaissez moins probablement, mais c'est un tort. Et puis plein d'autres, moins connus et moins acclamés (mais quand même, Je veux vivre!, de 1958).

Tout ça pour dire que Wise fait partie de ces réalisateurs qui sont défavorisés par le principe de la liste, qui limite à 1 film par réalisateur : si West Side Story n'était pas présent parmi les astres, le cinéma d'épouvante serait excellement représenté par The Haunting : c'est un étrange film, sur l'irrationalité de la peur, qui d'un côté à l'air d'avoir beaucoup vieilli, dans le style de parole ou les attitudes des personnages, mais d'un autre côté, purement cinématographique celui-là, a l'air d'être brand new, et du coup tout paraît fait exprès pour nous mettre dans une ambiance inquiétante. Et pour être inquiétante, elle l'est, et c'est un film absolument terrifiant, bien sûr.

Le jour où la Terre s'arrêta, il faudrait en dire de même : c'est un film superbe, très classieux, qui a peut-être vieilli en fin de compte mais sur des aspects tels que ça finit par le mettre en valeur. Et puis bon, c'est mythique, ça a tout inspiré, et si vous êtes cinéphiles (ou juste un peu geek : Tron, Evil Dead, Star Wars...) vous avez déjà entendu ces paroles : "Klaatu Barada Nikto". Eh ben ça vient de là, c'est dire. Surtout, c'est un film de science fiction capital, et un bon sujet de réflexion pour une dissert de géo-politique.


Nous avons gagné ce soir, je ne l'ai malheureusement pas vu, mais c'est très connu pour être un film majeur sur la boxe (son prestige a un peu décliné depuis Ragging Bull, ce qui se comprend aussi). Mais justement, tout ce que je sais sur ce film, c'est que quand on suggérait à Scorcese de tourner Ragging Bull, il a dit : pourquoi faire, y a déjà un chef d'oeuvre sur la boxe ?

La mélodie du bonheur, c'est un peu délicat, ça serait presque honteux. Disons que heureusement West Side Story, qui est sombre, réaliste, tragique (si, si) vient compenser le monde en sucre de The Sound of Music. Mais il ne faudrait pas s'arrêter là et insulter ce film qui est tout de même une des plus belles choses qu'on ait jamais faite en cinémascope. Alors bon bien sûr, les allergiques aux comédies musicales passeront leur tour. On est là au sommet de la classe américaine. Je l'appelais la comédie familiale ultime, et dans cette perspective, je vous conseille le DVD, où Julie Andrews vous explique pourquoi c'est un peu de douceur et de bon sentiments, salvateurs dans un monde de brute dominé par les jeux vidéos et les films de guerre, et où, évidemment, les chansons sont fournies en version Karaoké pour pouvoir chanter avec les enfants. On pourrait aussi définir ce film (comme je l'ai déjà fait en parlant de la comédie musicale) comme : la preuve qu'on peut battre les nazis sans donner un coup de poing. Alors pourquoi ce film ? Rien que la bande son mériterait qu'on en tombe amoureux, en particulier My favorite things. Je sens que ceux qui savent de quoi il s'agit vont se moquer, mais franchement, voyez ce film et vous serez enthousiastes à l'idée de les avoir en version karaoké pour vous y mettre en coeur. ("Cream colored ponies and crisp apple streudels/ Doorbells and sleigh bells and schnitzel with noodles/ Wild geese that fly with the moon on their wings/ These are a few of my favorite things..."). West Side Story, c'est un New York de studio (pas entièrement cela dit), les couleurs sont créées hors du néant (ah, la scène du bal...) : nous sommes là dans les alpes autrichiennes, filmées en panoramique, en hélicoptère même, c'est splendide, grandiose, verdoyant. Ca pourrait être un choix de mauvais goût si ce n'était pas une réussite si implacable. Et Julie Andrews est merveilleuse, mais ça va de soi.


(désolé pour la qualité de l'image, ça rend pas hommage aux paysages, qui sont pour une bonne part dans la réussite de l'ensemble)

Et puis bon, West Side Story. Alors moi je veux bien que l'artiste ait pas de personnalité, mais enfin avoir fait tout ce qui précède et puis faire ça, je veux dire, la merveille des merveilles, West Side Story, c'est pas le travail d'un artisan, d'un appliqué... On essaie de dire que c'est pas un film seulement de lui, sous prétexte que le chorégraphe a mis en scène les parties dansantes, et que c'est l'adaptation d'un spectacle de Broadway, tout ça, mais c'est ridicule, ce film on l'aime pour des raisons de pur cinéma, pour les couleurs, les plans, la mélancolie... West Side Story est donc un film réaliste, malgré les apparences, sur l'immigration, le racisme. C'est aussi Roméo et Juliette au début des 60's. C'est surtout une idée de la perfection au cinéma, sa quintessence. Et enfin, quoi, on n'a rien fait de mieux.

06 mai 2010

La passion de Jeanne d'Arc, 1928

"Il ne s'agit pas de dire que ces concepts d'images sont exclusifs les uns des autres, mais c'est pour donner une idée. Et par exemple, je crois qu'il est assez évident qu'un film comme le Jeanne d'Arc de Dreyer est composé presque entièrement d'images-émotions..."
Gilles Deleuze, cours sur le cinéma

Pas grand chose à dire sur ce film, qui parle de lui-même. Disons que le concept est vite compris : c'est à peu près 1h20 sur le visage de Jeanne d'Arc, impuissante, lors de son procès, filmée dans un enchaînement de close shots intenses et lacrymaux. J'imagine que l'expérience peut sonner insoutenable pour certains, mais c'est en réalité un film très émouvant (il est vrai que j'ai tendance à être très touché par le personnage, dont l'histoire a été adaptée à peu près un million de fois, et souvent dans des chefs d'oeuvre... Voyez au moins Péguy, Bernard Shaw, et sans doute aussi Brecht, Claudel, Anouilh, Schiller, Shakespeare, Verdi, Bresson (et non Besson, attention, lui c'est l'exception...), etc., toutes oeuvres que je n'ai pas encore approchées moi même). Alors bon, Jeanne d'Arc, Dieu ou la vie, la violence de l'Eglise et l'innocence de la combattante, tout ça, je vois pas comment on pourrait résister...
Profitons de l'occasion pour clarifier ce que je pense des chrétiens ("Aux lions les chrétiens !"). L'art chrétien a produit a peu près tout ce qui s'est fait de mieux dans l'histoire du cinéma (dans l'histoire du cinéma aussi, oserais-je dire, même si je crois que le roman par exemple a pas mal échappé à l'hégémonie [encore que, Chrétien de Troyes, Dostoievski...]). Je sais que j'exagère, mais quand même, c'est impressionnant. Je ne voudrais pas toutefois qu'on se méprenne : l'air chrétien est le plus dense et le plus bouleversant, mais il n'est pas très sain. Le cinéma laïque, de la vie comme elle vient et de l'absence de transcendance, est un bien meilleur lieu où vivre, et c'est celui-là qui nous rend heureux (comme Billy Wilder, ou Jacques Tati...). Mais revenons à nos moutons (du Seigneur) : le christianisme, c'est sublime et terrible quand ça cause : de la foi (Dreyer), du sacré comme seule voie de salut dans un monde perdu (Tarkovski), du sacrifice (Tarkovski encore) ou même de la pure transcendance (Pasolini). Mais l'humiliation, les moines qui tendent l'autre joue et les béats bienheureux (Les onze Fioretti de François d'Assise, de Rossellini), non merci, ça va, on va regarder Shortbus plutôt...

C'est une production française, ce qui nous permet de piquer un chef d'oeuvre au Danemark (comme dans les 70's on piquera L'empire des sens au Japon), et c'est bien, on n'en a pas beaucoup. On pourrait parler aussi du caractère miraculeux de l'existence même de ce film, qui en fait n'est apparu en son état actuel que dans les années 1980. C'est folklorique, et fait partie de ces histoires cruelles qui arrivent aux bobines, comme aux Rapaces d'Erich Von Stroheim, aujourd'hui massacré au montage. Sauf que cette histoire là a une issue aussi heureuse qu'invraisemblable : une fois toutes les copies brûlées, disparue ou abimées, le réalisateur mort et bien enterré, on retrouve dans un asile psychiatrique en Norvège une copie de l'original, avant la censure et les incendies. A propos d'asile psychiatrique (?), Artaud joue Jean Massieu, un des rôles principaux (ou disons plutôt un des visages les plus filmés, parce que c'est pas comme s'il y avait une intrigue), et il est, évidemment, d'une beauté plutôt incroyable (évidemment parce qu'on est en 1928, avant qu'il ne prenne le visage terrifiant des aliénés) ; ça rend le tout encore plus émouvant, un peu comme l'apparition fantomatique de Buster Keaton vieux et toujours aussi beau, dans Sunset Boulevard, dont je parlais il y a peu. C'est toujours intéressant ces apparitions qui nous sortent en partie du cadre (resserré) du film et produisent comme des échos à travers l'Histoire. D'autant que dans Sunset Boulevard, Keaton est vraiment engagé comme une guest star, alors qu'Artaud ne l'est devenu qu'a posteriori. Et puis il y a Renée Falconetti (on a le temps de la contempler, et ce n'est pas la chose la plus répugnante à faire), une actrice de théâtre française, embarquée dans cette histoire, qui n'a rien fait d'autre au cinéma qui ait quelque importance, et qui fait tout. C'est un film sur le visage de Renée Falconetti en train de pleurer.

Le truc, c'est qu'on a jamais fait du cinéma comme ça, que c'est absolument parfait, et qu'on se dit : pourquoi tous les autres films se ressemblent, comparés à ça ?

05 mai 2010

Explication de la liste

(la liste)

L'explication :

Principles :
- 1 director = 1 movie.
- No internal ranking into the sub-lists.

Results :
10 movies (accidental number) from a) to j) = The overwhelming, beyond-comprehension ones.

31 movies (also an accidental number) from z) to f) through a) = The bloody major masterpieces, and therefore something like my favorite ones.

x-1 (currently around 96 - 1 I think) movies from whatever) to whatever) = the other masterpieces I happen to have seen.

May be useful ? :
List 1 : to know me
List 2 : to know what I think about the cinema as an art
List 3 : if you don't know what to watch, there is what I may suggest.

Movies that are not in the list :
Movies not selected in a director's complete works (e.g. : Green Snake, by Tsui Hark)
Movies I haven't had the occasion to see (e.g. : man with a movie camera, by Ziga Vertoz)
Movies I really don't know anything about (e.g. : The important think is to love, by Andrzej Zulawski)
Movies I have liked but I'm not sure I will be liking if I see them again (nothing pops into mind right now).
Legitimate movies I don't like for ideological reasons (two major examples : Ben-Hur, by William Wyler ; The Flowers of St. Francis, by Roberto Rossellini)
Legitimate movies I don't like for technical/cinematographical reasons (e.g. : Russian Ark, by Alexander Sokurov)
Masterpieces I have seen but not remembered (e.g. : ?)
Movies I haven't seen the proper way (e.g. : anything by Mizoguchi)
Movies I see a lot but I have qualms considering as masterpieces (e.g. : Marie-Antoinette, by Sofia Coppola)
Bad movies (e.g. : Pretty Woman, by Garry Marshall)
Other movies

N.B. :
I think the real criterium to decide whether a movie belongs to the first, the second, or the third list is : If one of the films in the first two lists happened to disappear, it would be something lost for myself. If one of the films in the third list happened to disappear, it would be a loss for the art only.