C'est simplement le premier plan (car il n'y a là qu'un seul plan) à t'estomaquer comme ça. Une sorte de provocation, dans le cinéma des années soixante. Une déclaration de principe au début du film, qui vient proclamer : "Vous voyez, ma caméra peut voler. En fait, elle peut faire ce qu'elle veut." Ce film est un miracle en ce qu'il associe le propos le plus efficace et le plus enthousiasmant (c'est tout simplement un film sur la justice, la liberté, la révolution, la jeunesse, l'amour, tout ça...) avec la forme la plus novatrice, la plus aboutie et la plus extraordinaire, se permettant des audaces qu'on retrouvera peut-être chez le Brian de Palma le plus radical, à la fin des seventies, mais pas si souvent, pour sûr. Mikhaïl Kalatazov, le réalisateur, avait été envoyé par l'URSS dans le cadre d'une coopération artistique avec le nouvel État cubain. Comme Eisenstein avait accompagné la révolution russe, Kalatazov accompagne la cubaine en recommençant le cinéma à zéro, et avec l'ambition d'une pleine liberté. Le film est censuré aux USA, remisé dans les placards en URSS, résultat : il reste à peu près inconnu et invisible jusqu'au festival de San Francisco en 1993, quand Scorcese et Coppola le redécouvrent. Scorcese déclare après coup : « Je pense que si ce film avait été montré en 1964, le cinéma aurait été différent dans le monde entier ». Évidemment.
Observez comment ça débute (car c'est bien un incipit) en ironisant sur le faste et la vulgarité de la société américanisante qui a envahi Cuba, alors que le mouvement entreprenant de la caméra (qui par moments dans le film incarne explicitement le regard de l'île elle-même) annonce les futurs mouvements qui suivront, eux, ceux de la volonté de justice et de l'insurrection révolutionnaire.
Une merveille, donc, qui montre bien qu'on est pas obligé d'être chiant quand on fait du plan séquence...
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