05 mars 2011

Repartir sur de nouvelles bases

Imaginons un peuple qui admette l'idée que le "racisme" est mal, inacceptable. Cette admission, qui a pris la forme d'un consensus, s'est accompagnée d'un certain nombre de théories qui expliquaient pourquoi le racisme était mal, et l'expliquaient de façon pragmatique et non dogmatique. Mais ces théories ne sont pas rappelées sans cesse, on ne veut pas mettre leur résultat en discussion, et l'inacceptabilité du racisme est admise comme principe dogmatique. Cela ne semble pas si mal.
Mais nous voyons alors que la valeur négative "racisme" est séparée de son fondement réel. Elle flotte, en quelque sorte, et peut entrer dans des logiques purement idéelles, en perdant pied avec la réalité. En fait, le racisme n'est pas devenu un simple mot, mais un concept formel, qui désigne "une discrimination fondée a priori sur l'appartenance supposée à un groupe humain défini plus ou moins ethniquement".
Imaginons maintenant que le racisme réel, dans notre peuple, ait changé d'objet. Entendons nous : imaginons que des pratiques et des phénomènes empiriques tout à fait semblables à ceux qui ont été auparavant désignés sous le terme de racisme ne soient pas subsumés formellement, par notre peuple, sous le concept de racisme, et ne soient pas compris empiriquement comme racistes. On dira par exemple que la discrimination ne repose pas sur l'appartenance à un groupe mais sur l'incompatibilité d'une pratique culturelle avec le peuple (qui ne veut pas être raciste).
Si l'on entreprend d'analyser ces pratiques à l'aide des théories pragmatiques à l'origine de la condamnation du racisme, il y a des chances pour que l'analogie ou la proximité permettent de les condamner elles aussi.
Mais ces théories ne sont pas prises en compte. Ce qui est répandu largement, à l'échelle du peuple, c'est le mot, et son concept formel. Ce dernier sera alors opposé à toute accusation de racisme, comme prouvant l'absence de pertinence de cette accusation.
Qu'avons-nous alors : des exclusions et des violences d'Etat à l'encontre d'un groupe qui est défini en permanence comme son autre, et néanmoins aucune institution ne reconnaissant ces pratiques comme racistes.
Complexifions un peu le tableau : les discriminations ne sont pas niées en tant que telles, mais il n'y aurait aucune raison de les nier (on reconnait de nombreuses discriminations comme acceptables, en premier lieu la discrimination des racistes, qui peuvent vivre cette discrimination comme une violence, après tout, eux aussi). Elles sont néanmoins niées comme racistes, mais surtout elles sont justifiées par un autre concept formel, celui de "laïcité", qui, lui, a une valeur positive.
Imaginons alors que la laïcité, elle aussi, ait subie une transformation par séparation du mot et de ses bases réelles et pragmatiques. Que le principe ait été admis par consensus, en un temps où sa théorisation permettait d'éviter des exclusions. Mettons que la laïcité ait consisté au départ dans le fait de prendre garde à ce que des opinions relevant d'un groupe particulier au sein de la communauté publique (relevant par exemple d'un parti politique, d'un mouvement religieux...) ne puissent jamais s'imposer au sein d'une institution publique et faire taire le débat. Un principe en somme qui veille à ce que toute opinion particulière puisse être mise en discussion et à ce que nul individu ne soit violenté ou discriminé sur la base de son adhésion ou de sa non-adhésion à une opinion ou à un groupe. Mais imaginons que ce principe ait été renversé en son double négatif, qui a désormais pour fonction de dicter des conduites et d'exclure des individus.
Imaginons en fait que le nouveau racisme réel, qui ne veut pas dire son nom, se soit allié précisément avec le renversement du concept de laïcité pour produire des exclusions. La réunion de ces deux mouvements permettrait alors idéalement d'exclure un groupe du sein de la communauté publique (ce qui en passe par des violences multiples à l'égard des individus de ce groupe), en le définissant comme l'autre de cette communauté et comme ce qui est incompatible avec des valeurs, des pratiques et des identités qui sont (grâce au renversement du concept de laïcité) devenues excluantes, discriminantes et identitaires.
Dans une telle situation, il semblera alors nécessaire de pointer les incohérences de la parole institutionnelle ; de lui mettre le nez dans la texture réelle des principes fondateurs dont elle se prévaut ; et d'en revenir, surtout, aux réalités pragmatiques que nous devons considérer comme intolérables (parce que violentes et injustes) ou nécessaires (parce que permettant un peu d'harmonie dans la communauté publique), et qui doivent être au fondement de nos concepts.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire