Réflexions :
- Distinguer, ou réussir à articuler, au moins trois choses : 1 : le racisme comme théorie à laquelle on adhère ou instinct moral qu'on possède ;
2 : le racisme d'état comme s'incarnant dans les lois et dans les pratiques institutionnelles ;
3: le système raciste auquel participent des paroles et des pratiques de personnes qu'on ne peut pas vraiment qualifier de racistes au sens 1.
- Distinguer la théorie raciste au sens propre (raciale), pseudo-scientifique, qui court de 1850 à 1950, et dont le paradigme est l'antisémitisme (nouveauté qui se distingue des pratiques anti-juives et qui culmine dans sa folie dans le nazisme) ; la théorie raciste nouvelle, pseudo-politique (culturelle), et dont le paradigme est l'islamophobie. Cette théorie imprègne des anti-"racistes" modernes eux-même, qui sont racistes, par là même, et peut imprégner des vrais non-racistes en ce qu'ils ne sont pas absolument cohérents. Elle est le versant théorique du système raciste, en supposant que l'on sache ce qu'une telle expression veut dire.
- Je dis théorie mais ce n'est pas une théorie comme ce qu'on appelle "théorie" de la relativité. C'est un ensemble de théories constituées et plus ou moins contradictoires entre elles, une façon de voir, des concepts qui se répandent, des schèmes de pensée. Il faut une poussée théorique en retour, un coup de force, pour abattre ce laisser aller (dévoiler le racisme pseudo-laïque, dévoiler l'hétéro-normativité, etc.).
- L'anti-racisme classique et l'anti-racisme moderne sont justifiés par au moins trois raisons qui sont des propriétés ou des effets du racisme ou de toutes les théories para-racistes.
1 : la fausseté théorique, qui demande à être prouvée. Les théories racistes (mais aussi bien sexistes) étaient et sont des pseudo-sciences, et on peut le démontrer (ce qui ne passe pas forcément par la génétique, mais aussi par la sociologie, l'histoire, et la philosophie politique).
2 : le paralogisme politique qui consiste à se servir de la théorie pour justifier la pratique. Utiliser la thèse de l'infériorité féminine pour justifier le non-accès des femmes aux responsabilités politiques. Utiliser la thèse de l'invariabilité d'Oedipe pour justifier la non-légalité du mariage entre personnes de même sexe. Utiliser la thèse d'une oppression des femmes intrinséquement musulmane (la "barbarie") pour justifier l'exclusion du voile dans l'espace public. Les trois thèses en questions sont probablement fausses, et il importe de démontrer leur fausseté, mais il importe aussi et d'abord de dénoncer l'illégitimité du passage de la théorie à la pratique (le non-sexiste dira : admettons que les femmes sont inférieures, vous n'en déduirez jamais qu'il faut les traiter de telle ou telle façon). Le point est délicat, car une fois qu'on a dénoncé le paralogisme, il faut expliquer pourquoi il est produit néanmoins. On en revient alors à notre point de départ : soit c'est un instinct moral ou une échelle irrationnelle des valeurs qui se sert de la théorie comme d'une justification (bancale), une sorte de parti pris par avance ; soit c'est le système raciste, discriminant, qui absorbe la théorie et la tourne à sa sauce. Il n'y a pas forcément à choisir entre l'un et l'autre, mais il faudrait examiner de quelle manière et dans quelle mesure l'un peut jouer sans l'autre. Réussir à schématiser ce qu'il se passe au juste.
3 : l'injustice elle-même, et la violence, qui est produite par, ou précède et se sert de, ou est le complément de (ne décidons pas encore) ces théories racistes. Pour combattre cette injustice, pour s'élever contre elle, il ne faut pas invoquer les droits de l'homme, mais accepter de ne pas considérer celui qui subit l'injustice et la violence comme un autre, mais se mettre dans sa position, d'une certaine manière. Le considérer comme un sujet, un interlocuteur, un égal. Et revendiquer que tous fassent pareil (c'est justement cela, combattre le racisme). Cela prend idéalement la forme du "nous sommes tous" : nous sommes tous des lycéennes voilées, nous sommes tous des femmes battues, nous sommes tous des Roms, nous sommes tous des Palestiniens, etc.
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