06 février 2011

S. J. Gould, "Un siècle de vers", in Quand les poules auront des dents
Michèle le Doeuff, "Galilée ou l'affinité suprême entre le temps et le mouvement", in L'imaginaire Philosophique

Thèse de ces deux essais : Le progrès scientifique naît (au moins parfois) de ce qu'on pourrait qualifier négativement comme un manque de rigueur théorique, ou plus exactement comme un refus de laisser une affirmation non rigoureuse bloquer le travail. Plus positivement, on dira que c'est la décision de ne pas rechercher ce qui est vrai, mais ce sur quoi on peut travailler.

Les deux exemples sont donc Darwin et Galilée, pour lesquels je suis entièrement redevable de la littérature secondaire, qui soutient elle-même cette thèse que je n'invente pas, je ne fais que rapprocher les deux éléments :

Darwin écrit un traité sur l'action des lombric sur les sols de l'Angleterre. Le commentaire de cet essai par Stephen Jay Gould a pour but de faire valoir que les petits traités de Darwin avaient pour fonction d'illustrer et de défendre un grand principe scientifique, celui du traité sur les vers consistant à dire qu'une petite cause répétée sur un temps long peut produire de grands effets. Or Gould argue que c'est ce principe qui est au fondement de l'entreprise évolutionniste darwinienne (c'est déjà le cas de l'évolutionnisme lamarckien mais je suppose que la version darwinienne requiert encore beaucoup plus de temps pour être simplement possible). Mais cela va plus loin, car ce qui est en jeu, c'est comment expliquer un phénomène non répétable et non observable (l'évolution des espèces) ? Si l'on postule une action rapide, une création, des modifications brutales, on ne peut pas décrire cette évolution sans en avoir une observation directe. Mais si l'on postule une action continue et lente, on peut l'observer pendant un temps court et multiplier ces petits effets autant de fois qu'il le faut, par une simple arithmétique. Or le darwinisme classique (à ne pas strictement identifier avec Darwin, qui, de façon analogue à Marx qui n'était pas marxiste, n'était pas darwiniste) se caractérise précisément par le postulat d'un temps long et d'une causalité continue. Stephen Jay Gould cherche justement à remettre ce postulat en question en mettant en valeur l'importance de temps brefs et d'événements à l'échelle géologique qui joue un rôle dans une évolution qui connaît des phases brutales. Il considère néanmoins le postulat darwinien comme éminemment scientifique, comme paradigmatique même, en un sens, de la scientificité, car il n'a pas consisté à choisir l'hypothèse la plus vraie, la plus vraisemblable, la plus élégante, la plus en accord avec les faits, mais simplement l'hypothèse qui lui permettait de travailler. L'hypothèse qui permettait de ne pas se contenter de croire ou d'attendre des résultats qui ne viendraient jamais.

Je suis beaucoup plus court sur le cas Galilée que je connais beaucoup moins. Ce que développe Michèle le Doeuff, elle-même redevable de la littérature spécialisée, c'est que Galilée est sorti des débats classiques en son temps qui disaient que l'accélération de la vitesse de chute était proportionnelle à l'espace parcouru, en établissant qu'elle était proportionnelle au temps de la chute. Et elle suggère qu'il n'a pas fait cela parce que c'était évident (elle cherche à prouver que c'était tout sauf simple ou évident), ni parce que c'était plus conforme aux faits, à l'expérience, ou quoi, mais en partie parce que calculer une accélération proportionnelle à l'espace parcouru aurait nécessité un outillage mathématique inexistant à l'époque de Galilée (ce qui empêchait qu'on vérifie même l'hypothèse) alors qu'il pouvait calculer l'accélération proportionnelle au temps.

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