Mais il y a un point où, pour le lecteur de Meillassoux, Berkeley est particulièrement perturbant, c'est celui, bien sur, de la contingence des lois. La chose est produite en réalité, plus précisément, par une lecture athée du Traité. Un athée, c'est-à-dire quelqu'un qui ne reconnait pas les arguments finalistes, ni les propos de théodicée, ni les arguments évangéliques. Qui nie que Dieu soit une cause nécessaire. Mais qui, néanmoins, est convaincu par la démonstration des 6 premières pages. Convaincu qu'il n'y aurait aucun sens à parler de la matière (de ce qu'on entend habituellement comme matière) comme d'un extérieur absolu, qu'être, pour une chose, c'est être perçu, et être, pour un esprit, c'est de percevoir.
Berkeley est extrêmement tranquille en énonçant ses thèses, parce qu'il pose Dieu. Et l'on sent que c'est l'absence, ou même simplement l'éloignement de Dieu qui provoque une angoisse chez tous les lecteurs potentiels. Mais ce fait même pourrait être surprenant. Pourquoi sent-on un manque provoqué par l'énoncé de Berkeley, que Dieu doit combler ? C'est qu'il semble à l'athée que, si l'on nie la matière, si l'on nie l'extérieur absolu du monde, il faut des causes, des causes pour le mouvement, des causes pour la régularité, des causes pour tout ce qui arrive, et que toutes les causes matérielles nous ont échappé avec la matière. Et en effet, c'est Dieu directement qui agence les idées pour Berkeley. Mais cette angoisse de l'athée paraît très étrange. En effet, le lecteur rigoureux de Berkeley doit bien comprendre qu'il n'ôte en effet rien à tout ce qui est phénoménal en ôtant la matière. Que les choses restent des choses, que le monde "extérieur", pour être un peu moins extérieur, reste un monde. Mais si le monde n'a pas réellement changé, et que pourtant les lois de ce monde paraissent subitement stupéfiantes, c'est que les lois du monde ont toujours été également aberrantes. L'athée qui ne sait plus quoi faire sans Dieu dans le monde sans matière, se rend compte que dans le monde avec matière, l'enchaînement réglé des événements est tout aussi orphelin, tout autant dénué de raison. Que d'ailleurs, le croyant se sert tout autant de Dieu dans le monde avec matière, pour en expliquer les lois. L'athée se rend compte, peut-être, qu'il trouvait un certain naturel à ce que la matière soit pourvue de lois, mais qu'en vérité, sans Dieu, ses lois sont présentes sans aucune raison.